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Mardi 28 novembre, Burkina Faso. Emmanuel Macron présente, dans l’amphitéâtre de l’université de Ouagadougou, ce que sera la politique française vis-à-vis de l’Afrique durant son mandat. Une fois n’est pas coutume, le président veut rompre avec l’«ancien monde». Il assure ne pas être là pour donner des leçons, et son discours devant les étudiants se poursuit avec une séquence de questions-réponses.
La prestation – près de deux heures au total – a été remarquée. Aiguilloné par une salle survoltée, le président français ne s’interdit pas les traits d’humour. Répondant à la salve de questions d’une étudiante, Macron se fend d’abord d’une longue tirade de plusieurs minutes.

Il conclut en abordant le sujet des coupures d’électricité et de climatisation qui affecte l’université (à partir de 10:44 dans la vidéo) : «Nous allons demain ouvrir une centrale. J’ai dit quel était l’engagement de la France en matière de renouvelable, et l’engagement que nous allons faire en termes d’investissements dans l’entrepreneuriat, dans les entreprises, pour aider justement le Burkina Faso et tous les pays de la région à développer l’énergie et à lutter justement contre les coupures.»

«Il est parti réparer la climatisation»

Et c’est là que débute le passage qui fait l’objet de toutes les exégèses. «Mais vous m’avez parlé comme si j’étais le président du Burkina Faso !» Face aux rires et aux applaudissements, Emmanuel Macron s’interrompt et tente de reprendre la parole plusieurs fois. «Et quelque part, interrogez-vous […] sur le sous-jacent psychologique qu’il y a derrière votre interpellation et l’enthousiasme que ça a créé, intime le président français. Vous me parlez comme si j’étais toujours une présence coloniale.»
Et de lancer : «Mais moi je ne veux pas m’occuper de l’électricité dans les universités au Burkina Faso ! [acclamations, longue pause] C’est le travail du président [applaudissements].» Le président en question, Roch M.C. Kaboré, décide alors de s’éclipser avec quelques membres de son équipe, ce que remarque Emmanuel Macron, qui lui lance, tout sourire : «Du coup, il s’en va… Reste là !» A ce moment-là, l’image de la caméra de France 24 permet d’apercevoir un président burkinabé qui salue d’un geste de la main l’assistance en quittant la scène.
Et Macron enchaîne : «Du coup, il est parti réparer la climatisation»,avant de conclure sa réponse «plus sérieusement». Alors qu’un autre étudiant prend la parole, Emmanuel Macron se tourne vers la porte par laquelle Kaboré est sorti, probablement pour s’adresser au staff qui n’a pas quitté la salle avec lui. Il interroge du regard, en montrant la chaise laissée vide par le chef de l’Etat africain. Puis il hoche la tête et se retourne vers l’assistance, manifestement rassuré.

Un «incident diplomatique» pour l’opposition

Le départ d’un chef d’Etat d’une scène publique en plein milieu du discours d’un homologue n’est pas chose courante. Mais le fait que ce départ concorde avec un trait d’humour peu flatteur pour ce chef d’Etat a alimenté toutes les polémiques. Les Inrocks y ont vu une «humiliation»infligé par Macron à Kaboré, tout comme l’élue Front national Tiffany Joncour, qui a obtenu plusieurs centaines de retweets sur un message où elle partage un extrait vidéo de la scène. Le jour même, 20 Minutes titre que «Macron se moque de son homologue».

C’est une honte ! Tutoiement, humiliation et moquerie : voilà le comportement du président de la République au  face au président @rochkaborepf qui quitte la salle.
Va-t-on en entendre parler dans la presse ?

Le soir même, La France Insoumise, qui disserte de la prestation macronienne dans un communiqué, juge «indigne» la remarque sur la climatisation.

Le lendemain, le souverainiste Dupont-Aignan s’énerve, au micro d’Europe 1«Si un homme de droite, ou le président Sarkozy, ou Donald Trump, s’était comporté au Burkina Faso comme l’a fait Emmanuel Macron, toute la presse ne parlerait que de ça,. Il a été d’une arrogance, d’une violence à l’égard des autorités du Burkina Faso…» «Ah oui, la séquence de la climatisation», l’interrompt le présentateur Patrick Cohen, alors que Dupont-Aignan poursuit sa critique.
Sur France 2, c’est le conseiller régional Front national Nicolas Bay qui y va de son coup de boutoir contre l’attitude d’Emmanuel Macron : «désinvolture», «condescendance», «incident diplomatique»…

Les toilettes étaient à 200 mètres

On peut débattre du bien-fondé des remarques et du ton du locataire de l’Elysée à Ouagadougou. Mais selon les autorités françaises et burkinabées, il n’a vexé personne. Avant même que les réseaux sociaux ne s’enflamment, un conseiller de Roch M.C. Kaboré expliquait sur Twitter : «Pour rassurer ceux qui n’ont pas eu la bonne information […] le président Kaboré s’était éclipsé juste pour une petite pause technique, avant de revenir dans l’amphi.»

Pour rassurer ceux qui n’ont pas eu la bonne information.
Pendant le discours de @EmmanuelMacron , le Président Kaboré s’était éclipsé juste pour une petite pause technique avant de revenir dans l’amphi.

Les deux hommes ont d’ailleurs conclu la journée sans accroc en visitant une école de Ouagadougou. Et ce mercredi, ils inauguraient ensemble une centrale électrique. Cette même centrale qui devrait permettre d’éviter les coupures d’électricité, de climatisation et les pseudo-incidents diplomatiques.

C’est aussi ce que rapportent les journalistes présents. L’envoyée spéciale du Parisien Ava Djamshidi raconte la sortie du président Kaboré : «Une fois que ses gardes du corps se sont assuré de la sécurité des toilettes situées à 200 mètres de là, ils sont venus chercher le président burkinabé, pour l’escorter.» Un récit que confirment, selon la journaliste, «un officiel français et plusieurs sources concordantes de l’entourage du burkinabé». Force est d’ailleurs de constater que celui-ci est revenu peu après.
C’est aussi la version qui a été donnée à l’envoyée spéciale de Libération, Maria Malagardis. Elle explique même qu’au lendemain du discours à l’université de Ouagadougou, les portables des journalistes français sur place ont sonné. Au bout du fil, des rédactions inquiètes : «C’est vraiment un incident diplomatique ?» Non, répondent les journalistes qui suivent le déplacement de Macron. Eux préfèrent parler de «pipi gate».
Fabien Leboucq / Liberation.fr

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