L’ancien Garde des sceaux et Maître de conférences des universités, Victor Topanou opine sur la crise politique au Togo. A travers cette réflexion, il s’interroge, à la lumière de l’histoire politique contemporaine, notamment l’exemple des pays de l’Est, sur la légitimé de Faure Gnassingbé. Pour lui, la « rue » est l’instance suprême qui confère cette légitimité et qui peut défaire tout pouvoir. Lire ci-dessous l’intégralité de sa réflexion.
Depuis le mois d’août dernier que la crise politique togolaise, plus que cinquantenaire, a repris de plus bel, resurgit le vieux conflit entre la légitimité et la légalité, entre une légalité douteuse (I) et une légitimité contestée (II).
I / Une légalité douteuse.
De façon systématique, les tenants du régime en place revendiquent pour eux et pour eux seuls, la légalité qu’ils opposent aux contestataires. Et pourtant, ce sont ces derniers qui détiennent toujours, souvent ou parfois, la légitimité. La rhétorique est toujours la même, « J’ai été élu et au nom de cette élection j’ai tous les droits tout au long de la durée de mon mandat ». Au nom de cette légalité que confèrent des institutions entièrement mises en place par le régime en place et à qui les membres désignés vouent une entière allégeance, parfois contre leur gré et au péril de leur vie, voire de celle des membres de leurs familles, plus personne ne se préoccupe de l’application ou plutôt de la non-application des accords politiques, notamment le fameux Apg (Accord politique global), signé et torpillé par le régime en place. Mais cette légalité est-elle réellement suffisante pour ainsi traiter une opposition ? Et d’ailleurs, peut-on réellement parler de légalité pour Faure Gnassingbé, lui qui en 2005 avait violé la Constitution plus de cinq fois en une nuit ? De Ministre de l’équipement, il redevient député sans élection, devient président de l’Assemblée nationale dans la foulée pour finir Président de la République intérimaire. Tout cela sous le nez et la barbe des bien-pensants, des donneurs de leçon de légalité et des médiateurs professionnels d’aujourd’hui. Qu’ils en viennent à donner des leçons de légalité à l’opposition togolaise, honte à eux !!! Ils bombent le torse et à coups de millions, gracieusement offerts par le régime en place, ils organisent des colloques pour délégitimer la violence, les actions de rue et rappeler que la Constitution de 1992 est toujours en vigueur et n’a subi que de légères modifications. Exactement comme hier à Dakar par Abdoulaye Wade.
Ils ont oublié, comme par enchantement, que l’élection de 2015 avait été fortement contestée par l’opposition et que la Cour constitutionnelle n’avait pas daigné attendre la proclamation par la Céni pour s’en charger elle-même. Mieux, en 2015, le président Faure Gnassingbé n’a jamais été investi, la cérémonie d’investiture étant pourtant une condition formelle pour devenir Président de la République. Pendant trop longtemps, ils nous ont fait accroire, de la façon la plus méprisante qui soit, que « de toutes les façons, en Afrique les opposants contestent toujours les résultats des élections quand elles ne leur sont pas favorables » !!! Jusqu’à ce que les Juges de la Cour Suprême du Kenya viennent nous rassurer que ces opposants ne contestaient pas toujours à tort les élections dans leurs pays. Que les Gouvernants étaient de gros tricheurs, sans foi ni loi, avec malheureusement bien souvent la complicité des partenaires techniques et financiers tel Safran. Au Kenya, les Juges ont eu l’audace de le dénoncer allant jusqu’à invoquer des motifs liés à la foi. Hélas, ailleurs, dans presque tous les autres pays africains, les juges n’ont pas toujours eu cette audace et se font, souvent et/ou parfois, complices de forfaitures immondes. C’est au nom de cette légalité que Faure Gnassingbé a choisi de demeurer le seul pays de la Cedeao, que pourtant il préside actuellement, à ne pas ratifier la charte de la démocratie qui recommande le principe de la limitation des mandats présidentiels. Sans doute, sur les conseils avisés de ses conseillers. Au moins-là, ils sont conséquents envers eux-mêmes.
En réalité, lorsque la légalité est tronquée, il n’y a même plus un début de légitimité. Et ce dont souffre le régime de Faure Gnassingbé, c’est d’un déficit chronique de légitimité.
II/ Une légitimité contestée
Dans l’histoire de l’humanité, la légitimité a toujours précédé la légalité. C’est la légitimité qui est la source de toute légalité. La légitimité crée la légalité qui s’en nourrit. Et toutes les fois que dans l’histoire des hommes, la légitimité est entrée en conflit avec la légalité c’est toujours la légitimité qui l’emporte.
Ainsi, lorsque Blaise Compaoré, hier encore, voulait modifier la Constitution du Burkina Faso pour s’éterniser au pouvoir, l’argument juridique massue que lui et les siens avaient alors avancé, c’est que la Constitution le lui permettait. La suite, on la connait. La Rue, la source de toute légitimité, l’en a empêché et il dut écourter son mandat d’un an. Avant lui, le Raïs égyptien, Hosni Moubarak, le Tunisien Ben Ali ont dû plier devant un peuple aux mains nues dans la rue. Même si la fin de Kadhafi a été autrement plus dramatique, il a commencé par plier face à un peuple aux mains nues dans la Rue. Plus loin dans le temps, au début des années 90, c’est la « Rue », siège de toute légitimité, qui a contraint les régimes de l’ancien bloc de l’Est à céder, les uns après les autres, faisant ainsi tomber leur légalité : la Roumanie de sinistre mémoire, l’Allemagne de l’Est, la Pologne, la Tchécoslovaquie et les autres sont tombées tour à tour devant le tribunal de la légitimité. Plus près de nous, François Hollande dut renoncer à défendre son bilan devant les Français parce que tous les sondages, outils, quoiqu’imparfaits à bien des égards, de mesure de la légitimité des gouvernants dans les démocraties avancées, lui indiquaient qu’il avait perdu sa légitimité auprès des Français. De tous ces exemples historiques, le principal enseignement qu’il convient de retenir est, ni plus ni moins, la primauté de la légitimité sur la légalité.
Quand le Peuple aux mains nues est dans la Rue, c’est la légitimité des gouvernants qui est remise en cause. Quand le Peuple aux mains nues est dans la Rue, les gouvernants se doivent de l’écouter et de répondre à ses demandes légitimes. Quand le Peuple aux mains nues est dans la Rue, on n’organise pas des contre-manifestations avec tous les moyens de l’Etat au risque de le diviser. Quand le Peuple aux mains nues est dans la Rue, on ne le gaze pas, on ne le blesse pas, on ne le mate pas, on ne le tue pas à volonté. Un dirigeant qui gaze, blesse, mate et tue à volonté son Peuple est un dirigeant illégitime. Et s’il s’accroche au pouvoir, il sera balayé, au mieux, par les urnes et, au pire, par la Rue.
Au regard de ce qui précède, peut-on encore dire de Faure Gnassingbé qu’il est légitime, si tant est qu’il l’ait jamais été ? Cinq cents morts en 2005 selon les chiffres d’Amnesty international, certes contestés par le régime en place, mais comment pouvait-il en être autrement ? Des dizaines de morts depuis le 6 août dernier à ce jour ; je passe sous silence les gazés, les blessés et les matés. Assurément la réponse est non !!!
Au Togo, « le Peuple aux mains nues dans la Rue » s’illustre par la permanence dans la détermination, la constance dans la mobilisation et l’importance numérique des manifestations. Si cela ne suffit pas à convaincre les tenants de la légalité alors, il ne reste au Peuple qu’à continuer sa démonstration de force dans toutes les villes du Togo jusqu’à ce que Faure Gnassingbé quitte le pouvoir. Je ne fais pas l’apologie de la violence mais j’assume celle du « Peuple aux mains nues dans la Rue ».
Au total, cette crise togolaise devrait être une opportunité pour l’émergence d’une classe politique sous régionale dans l’espace Cedeao ou au pire dans l’espace Uemoa. Car, il n’est juste pas compréhensible, voire acceptable qu’une telle crise se déroule depuis tant de semaines sous nos yeux et que les Togolais aient le sentiment d’être seuls au monde et seuls dans la sous-région. Tous les acteurs de l’opposition démocratique de tous les pays de la Cedeao ou, à défaut de l’espace Uemoa, devraient se concerter pour soutenir la lutte de l’opposition togolaise. Certes le Parti communiste Béninois, fidèle à ses convictions, a organisé une manifestation début octobre. C’est très bien, c’est à son honneur. Mais c’est trop peu. Quelques acteurs de la société civile au Sénégal, au Burkina Faso et au Mali ont également apporté leur soutien à la lutte du peuple Togolais pour plus de démocratie. Mais tout cela reste encore trop timide.
Il devrait y avoir une vague de fond de soutien tous azimuts venant des partis d’opposition, des organisations de la société civile mais aussi et surtout des intellectuels qui jusqu’à aujourd’hui sont restés désespérément muets affichant un silence complice, voire coupable quand ils ne soutiennent pas publiquement le régime de Faure Gnassingbé. Cela devrait cesser, maintenant !!! « Je suis Togolais » et que le régime de Faure Gnassingbé nous blesse tous, nous gaze tous, nous matte tous, nous exécute tous, nous tue tous !!!
Par Topanou Prudent Victor K. Kouassivi, Maître de conférences des Universités,
Ancien Garde des Sceaux du Bénin.